Têbe

CW douleur, médicaments


“Je suis là.”

L’idée de me taper violemment la tête contre les murs me traverse souvent l’esprit, pour que la douleur réel, maîtrisable et rassurante remplace celle de mes nerfs qui s’affolent de ne rien ressentir.
Ce couteau froid, ce pic de glace sur ma tête pénètre ma chair, sans cesse, sans jamais la traverser. Je veux me fondre dans quelques substance légales, me donner l’impression pour un soir de ne pas avoir la charge de mes maux. Là, c’est à ce flacon posé sur ma table de nuit de gérer ma douleur. Mon réconfort tient dans ce liquide bleu que je dilue goutte après goutte dans un verre d’eau. Je ne l’ai pas porté à ma bouche que j’en ressens déjà les effets. Mes muscles s’apaisent à l’idée de s’apaiser, et je respire. Pleinement. Mes épaules s’affaissent et j’ai soudain envie de m’étirer.

“C’est un démon. Il a jeté son dévolu sur toi, il te cherche, il y a en toi, une brèche, il s’est engouffré, à travers ton vice. Regarde-toi.”


Qui es-tu pour prétendre connaître Têbe ? Une brèche, une faille ? Têbe ne sonne pas aux portes, Têbe s’installe, prend ses aises, ne paie pas le loyer met son bazar et son vacarme.

Et, changé, chamboulé, je n’entends plus. Je ne vois plus. Chaque sens se réuni en un point unique, lancinant, pulsatile, à chaque pensée qui s’égare, Têbe se rappelle à elle.


“Je suis là.”


Voilà la fatigue et mes yeux se ferment, le médicament fait son effet. Il ne me soigne pas mais me fait oublier, me fait doucement plonger vers les sensations fictives des rêves. Tantôt douces, tantôt violentes.Têbe me quitte un peu.

Mes yeux se rouvrent, et


“Je suis là.”


Je sais que tu es là, chaque seconde, je n’oublie pas.

Mes paupières tombent à nouveau. J’entendais des voix, et puis je vois. La vie prend forme face à moi, c’est ma mère ? L’image est trouble. Je ne sais pas, non, une autre femme. La nuit se matérialise, elle fait d’une pensée une substance. Ce que j’entends dans ma tête passe à mes oreilles, les images deviennent nettes et Têbe s’efface, j’entre dans la dimension du rêve, aussi ennuyante que celle du quotidien, sauf que Têbe n’est jamais là.Cinq années de vie partagée, mais jamais un seul rêve qui l’évoque.
Têbe est mon cauchemar que j’oublie chaque nuit quand je m’éveille enfin.

Les Glitch eux ils me faisaient peur au début, parce qu’ils sont moches. Pas leur faute, ils ont été créé avec ce qui a été oublié, dans leur coin, sans personne, mais ils apprennent. Ils apprennent et ce qu’ils aiment, par dessus tout, c’est la musique.
C’est comme s’ils étaient apparus tout seuls, je les ai pas créés. Au début ils étaient discret, et c’était pire que tout. Je savais que j’en avais vu passer un, je l’avais aperçu puis il avait disparu, pouf. Donc ça me faisait peur, parce que c’était tout le temps comme ça. J’avais peur qu’ils me sautent dessus en pleine nuit, et qu’ils me bouffent, ou bien qu’ils m’électrocutent parce qu’ils ont l’air d’être électriques. Mais j’ai calmé ma peur, et le soir, j’ai commencé à leur parler, dans le vide, je savais qu’ils m’écoutaient. Je leur racontais des trucs, des histoires, et des fois quand je partais la nuit, j’éteignais ma lampe, et je leur disais “je vous vois pas, vous pouvez venir”.

Peut-être que les Glitch ont peur du clair comme quand j’ai peur du noir ?

J’avais la trouille mais je l’ai fait, trois fois. Un jour, enfin, une nuit, j’ai quitté mon vélo et j’ai marché dans un champ en friche. J’ai entendu bougé et j’ai sursauté, y’avait que la lumière de la lune, et ça va encore parce que parfois y’a même pas ça. J’étais figé, je savais pas si je devais courir, et par où courir parce que j’étais loin de la route. Et c’est là qu’il a chanté, comme avec une voix d’enfant, et je l’ai vu. Car les Glitch, quand ils chantent, ils brillent dans la nuit. Il était tout seul, il a chanté pendant plusieurs minutes, à la fois j’étais content et j’avais peur donc j’avais envie qu’il arrête. Puis il a arrêté. Il a disparu. J’ai couru jusqu’à mon vélo et je suis rentré.
Mais après, la journée, j’avais juste envie de recommencer, j’avais hâte que la nuit tombe, en plus mon père a pété un câble parce que j’étais lent et fatigué. Je lui ai dit d’aller se faire foutre donc j’ai été puni. Mais la nuit, je me suis cassé encore et je suis retourné au champ. Là, j’avais plus peur, parce que j’avais réfléchi. Il voulait pas me tuer, je crois. Parce qu’ils auraient pu le faire avant, alors j’ai chanté un peu aussi, un truc qui ressemblait à sa chanson, ça va je chante pas trop faux. Alors, y’a eu une note, puis deux, puis trois, quatre et je sais pas, mais le chant en friche s’est illuminé tout entier, j’avais presque mal aux yeux, et je les ai compris.
Depuis, c’est eux qui me rassurent la nuit. Parce que j’aime la nuit, la nuit je sors, je vais partout, on me juge pas. La nuit, j’existe pas, même quand j’ai peur, très peur.