Pantin

Je suis un pantin au yeux de certains, je me vois plutôt comme un acteur et un messager, un visage humain qui permet de mieux délivrer l’information.

La chaîne voulait se contenter d’images générées par IA, mais les gens ont appris le subterfuge et au final, on a eu moins d’identification ou d’attachement au présentateur, donc un désintérêt du public. Voilà pourquoi on a commencé à expérimenter avec neuralink. L’idée est de fournir un corps à l’IA. J’ai le contrôle de mon corps mais elle me donne des instructions en temps réel et, sur le plateau, je les reproduis. Nul doute qu’elle saura un jour contrôler intégralement mon corps et ma parole. Mais j’y ajoute une touche personnelle qui plaît, ça explique aussi le succès de l’émission par rapport aux précédentes. L’IA se charge de me donner les arguments politiques, l’éloquence, me permet un certain détachement car je ne peux pas perdre mes moyens. Ça déstabilise l’interlocuteur, croyez-moi. C’est pas forcément cool face à un scientifique peu habitué à cela, qu’on peut rapidement submerger de propos difficiles à démonter en temps réel, mais le public aime ça, les investisseurs aiment ça, moi, ça me convient. Et si l’interlocuteur ne parvient pas à contredire l’IA, c’est que l’IA a raison, non ?

Son sang, sur mes épaules

CW Suicide, Sida, sang

Je suis assis, sur une chaise en bois, et je regarde le soleil se lever, avec lenteur. L’air sent bon le savon, le propre, la javel, on entend les oiseaux piailler, dehors un ciel mélange le rouge le bleu, et le blanc, au sol tout est vert. J’attends.
Quelques gouttes d’eau sur le plancher me rappelle le sang, son sang, sang humide, les traces rouges de mains sur les murs, jusqu’à ma porte, goût amer, odeur nauséabonde.
Calme, savon, repos.
Un corbeau rit près de ma fenêtre, un vent frais soulève mes rideaux.

Je soupire.

Elle pleurait, assise par terre, entourée de morceaux de verre, dans son sang, du sang plein la bouche, de cette plaie, de ce trou qu’elle avait voulu combler.
Dans un grondement, les escaliers, les couloirs, les chambres répétaient ses hurlements.
« Je meurs, je meurs, criait-elle, je vois plus rien, je vois plus rien, me souffla-t-elle. »
J’avais les pieds dans les bouteilles brisées, où se mélangeait le sang, son sang, sang humide, j’avais peur, elle avait peur, nous ne bougions plus.
Seul son regard, sans me voir, ses yeux étaient plongés dans les miens, son visage paraissait si froid.
« Tu as du sang partout, je suis désolée, je suis désolée, s’excusa-t-elle. »
Il était trop tard, trop tard pour elle, elle n’y était pour rien.
Je m’abaissais, je la pris dans mes bras, doucement, sans lui faire le moindre mal. L’odeur, le rouge, la détresse, son cœur qui battait, vainement, dans le vide.

Elle se fit brique, s’effondra, j’attendis, immobile. Son poids. Son corps froid.

Les sirènes de pompiers. Les ambulances. Des bruits de pas, on courait dans les escaliers, je ne regardais qu’elle, si pâle, si froide.
« Trop tard, me dit-on. »
Sans blague.
« Vous la connaissiez ? »
Non.
J’aurais pu, j’aurais dû, mais non.
Goût amer.
On m’amena à l’hôpital. On me parlait, je voyais tout, tout sauf elle, je voulais son doux visage, sans le sang, la regarder, une fois encore.
« Vous devez vous reposer. »
J’étais rouge, rouge de son sang, sur ma nuque, où elle avait posé son bras, sur mes pieds, que le verre avait entaillés.
Rempli de sa mort, on me montra les douches. L’eau, froide ou chaude ? Le savon, nettoyage, d’abord la tête, les cheveux, je voyais chaque goutte couler, larmes tantôt transparentes tantôt rosées. Le torse, les épaules, je pleurais. Puis le ventre, puis le dos, à quoi bon ? Mes jambes, mes pieds, j’avais mal.

Sur mon pied gauche, je gardais une goutte de son sang, une goutte, une seule. Plus tard j’appris qu’elle avait le sida.

L’air sent bon le propre, le soleil s’est levé. Je vois son visage, je souris.

Un texte que j’avais écrit en 2012, je suis retombé dessus aujourd’hui, partiellement issu de vécu, la personne n’est pas décédée et n’avait pas le sida, la fin du texte vient du fait qu’elle et moi avons été testé à la suite de cela

D’hier

C’est en méditant ce soir sur une de mes vidéo, vers mes onze ans, que je songe à ce moi ancien, distant, presqu’inconnu.
Est-ce que je me souviens de mes pensées, précisément, de qui j’étais ?
J’ai quelques vagues souvenirs de mes actions. De mes humeurs aussi, le matin, sur la route du collège. Quand pris d’une sombre amertume, j’espérais que tout explose, que rien ne soit plus. Je me souviens du ciel gris, du vent qui battait et me laissait l’espoir que tout s’écroulerait. L’absurdité de ce monde réduite à néant. Sans souffrance. Sans cri. Sans peine. Juste un souffle, un soulagement.
Qu’en était-il des mots ? Ceux qui traversaient mon esprit quand je traînais des pieds ? Quand je souriais ? Quand j’en faisais déjà trop, face aux autres, quand j’étais trop bruyant, trop souriant pour combler ce qui déjà petit me pinçait le ventre à me plier de douleur. Cette mélancolie profonde, incontrôlable au matin, qui sortait en marée salée.
Je n’ai pas les mots, pas les pensées. Je n’ai que ce qui est resté, toujours ce même poids. Pourtant j’ai tant changé. Ma voix n’est plus la même mais j’en entends les mêmes rythmes, les mêmes nuances et hésitations. Mes mots, mes idées, ont évolué, ont avancé, reculé, qu’importe, j’ai appris et oublié.

Je ne sais plus ce qu’il pensait, ce moi inconnu. Pourtant, je m’y reconnais. Pas dans l’image d’une vidéo. Après tout, même une vidéo tournée aujourd’hui ne me refléterait pas. Mais dans ce qui reste de moi. Ce qui, au fond, importait vraiment.