Son sang, sur mes épaules

CW Suicide, Sida, sang

Je suis assis, sur une chaise en bois, et je regarde le soleil se lever, avec lenteur. L’air sent bon le savon, le propre, la javel, on entend les oiseaux piailler, dehors un ciel mélange le rouge le bleu, et le blanc, au sol tout est vert. J’attends.
Quelques gouttes d’eau sur le plancher me rappelle le sang, son sang, sang humide, les traces rouges de mains sur les murs, jusqu’à ma porte, goût amer, odeur nauséabonde.
Calme, savon, repos.
Un corbeau rit près de ma fenêtre, un vent frais soulève mes rideaux.

Je soupire.

Elle pleurait, assise par terre, entourée de morceaux de verre, dans son sang, du sang plein la bouche, de cette plaie, de ce trou qu’elle avait voulu combler.
Dans un grondement, les escaliers, les couloirs, les chambres répétaient ses hurlements.
« Je meurs, je meurs, criait-elle, je vois plus rien, je vois plus rien, me souffla-t-elle. »
J’avais les pieds dans les bouteilles brisées, où se mélangeait le sang, son sang, sang humide, j’avais peur, elle avait peur, nous ne bougions plus.
Seul son regard, sans me voir, ses yeux étaient plongés dans les miens, son visage paraissait si froid.
« Tu as du sang partout, je suis désolée, je suis désolée, s’excusa-t-elle. »
Il était trop tard, trop tard pour elle, elle n’y était pour rien.
Je m’abaissais, je la pris dans mes bras, doucement, sans lui faire le moindre mal. L’odeur, le rouge, la détresse, son cœur qui battait, vainement, dans le vide.

Elle se fit brique, s’effondra, j’attendis, immobile. Son poids. Son corps froid.

Les sirènes de pompiers. Les ambulances. Des bruits de pas, on courait dans les escaliers, je ne regardais qu’elle, si pâle, si froide.
« Trop tard, me dit-on. »
Sans blague.
« Vous la connaissiez ? »
Non.
J’aurais pu, j’aurais dû, mais non.
Goût amer.
On m’amena à l’hôpital. On me parlait, je voyais tout, tout sauf elle, je voulais son doux visage, sans le sang, la regarder, une fois encore.
« Vous devez vous reposer. »
J’étais rouge, rouge de son sang, sur ma nuque, où elle avait posé son bras, sur mes pieds, que le verre avait entaillés.
Rempli de sa mort, on me montra les douches. L’eau, froide ou chaude ? Le savon, nettoyage, d’abord la tête, les cheveux, je voyais chaque goutte couler, larmes tantôt transparentes tantôt rosées. Le torse, les épaules, je pleurais. Puis le ventre, puis le dos, à quoi bon ? Mes jambes, mes pieds, j’avais mal.

Sur mon pied gauche, je gardais une goutte de son sang, une goutte, une seule. Plus tard j’appris qu’elle avait le sida.

L’air sent bon le propre, le soleil s’est levé. Je vois son visage, je souris.

Un texte que j’avais écrit en 2012, je suis retombé dessus aujourd’hui, partiellement issu de vécu, la personne n’est pas décédée et n’avait pas le sida, la fin du texte vient du fait qu’elle et moi avons été testé à la suite de cela