D’hier

C’est en méditant ce soir sur une de mes vidéo, vers mes onze ans, que je songe à ce moi ancien, distant, presqu’inconnu.
Est-ce que je me souviens de mes pensées, précisément, de qui j’étais ?
J’ai quelques vagues souvenirs de mes actions. De mes humeurs aussi, le matin, sur la route du collège. Quand pris d’une sombre amertume, j’espérais que tout explose, que rien ne soit plus. Je me souviens du ciel gris, du vent qui battait et me laissait l’espoir que tout s’écroulerait. L’absurdité de ce monde réduite à néant. Sans souffrance. Sans cri. Sans peine. Juste un souffle, un soulagement.
Qu’en était-il des mots ? Ceux qui traversaient mon esprit quand je traînais des pieds ? Quand je souriais ? Quand j’en faisais déjà trop, face aux autres, quand j’étais trop bruyant, trop souriant pour combler ce qui déjà petit me pinçait le ventre à me plier de douleur. Cette mélancolie profonde, incontrôlable au matin, qui sortait en marée salée.
Je n’ai pas les mots, pas les pensées. Je n’ai que ce qui est resté, toujours ce même poids. Pourtant j’ai tant changé. Ma voix n’est plus la même mais j’en entends les mêmes rythmes, les mêmes nuances et hésitations. Mes mots, mes idées, ont évolué, ont avancé, reculé, qu’importe, j’ai appris et oublié.

Je ne sais plus ce qu’il pensait, ce moi inconnu. Pourtant, je m’y reconnais. Pas dans l’image d’une vidéo. Après tout, même une vidéo tournée aujourd’hui ne me refléterait pas. Mais dans ce qui reste de moi. Ce qui, au fond, importait vraiment.

Il y a un mystère dans cette nuit venteuse. Dans le bruit des feuillages sous l’opacité des nuages. Dans le noir, informes et furtifs, rodent mes cauchemars d’enfant. Je les sens tapis dans l’ombre, mais dans l’air humide, ils me paraissent bien risibles. Mon oreille aux aguets, c’est le vent que j’entends et, tandis que mes yeux s’habituent à l’obscurité, apparaît devant moi la danse des cimes. Je souffle avec la brise, mon corps se détend, je pourrais presque fermer les yeux. Qu’importe mes peurs, qu’importent mes fantômes, ce soir, je n’appartiens qu’à ce brin de tempête. Et, les humeurs en rafales, l’atmosphère soupire enfin.

Je rêve de me fondre dans les ombres du monde.

Virevolter, délesté de tout.

Et quand viendrait la nuit, habiter en toute chose, n’avoir comme pensées que celles d’observer, d’exister, d’être sans me réfléchir ou me concevoir, être là pour être là, avoir un “moi” qui n’en serait pas. Ne plus dire “je pense” mais penser, penser les choses et m’y oublier. Cesser de m’ancrer pour mieux discerner, sous la lumière obscure, le bruissement du silence, les chuchotements intimes et les odeurs infimes. Je ne serais au centre rien, surtout pas de moi-même. Ce moi ardent qui me pèse tant deviendrait fumée, et ma fuite, ma fuite latente, une omniprésence.