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Je regarde avec vertige le sol, par ma fenêtre. La nuit me frappe de son air glacial, sur mon visage, dans mes poumons, sous mes ongles.

J’ai longtemps attendu que l’on vienne me chercher. Qu’on m’emporte loin de mes pensées torturées, de mes impasses, de mon atmosphère souillé par les lendemains d’espoirs qui s’accumulent derrière moi.
J’ai longtemps attendu que cette fenêtre s’ouvre avec fracas, qu’on me dise qu’il existe un ailleurs où je baisserais les armes, où je me laisserais bercer, prospère, rassuré.
J’ai cru en chaque jour naissant. En des nouvelles réjouissantes. J’ai cru aux belles paroles, aux idées folles, je les chéris encore, un brin de nostalgie au cœur.

Je me remets à la nuit. Ici, tout s’oublie. Il ne reste rien des murmures, des rumeurs et des rancœurs. Il ne reste que moi. Mon tas de jours derrière, mes maigres espoirs, je leur tourne le dos pour contempler le noir, le néant qui m’embrasse, et le froid, qui me parle sans voix.

Têbe

CW douleur, médicaments


“Je suis là.”

L’idée de me taper violemment la tête contre les murs me traverse souvent l’esprit, pour que la douleur réel, maîtrisable et rassurante remplace celle de mes nerfs qui s’affolent de ne rien ressentir.
Ce couteau froid, ce pic de glace sur ma tête pénètre ma chair, sans cesse, sans jamais la traverser. Je veux me fondre dans quelques substance légales, me donner l’impression pour un soir de ne pas avoir la charge de mes maux. Là, c’est à ce flacon posé sur ma table de nuit de gérer ma douleur. Mon réconfort tient dans ce liquide bleu que je dilue goutte après goutte dans un verre d’eau. Je ne l’ai pas porté à ma bouche que j’en ressens déjà les effets. Mes muscles s’apaisent à l’idée de s’apaiser, et je respire. Pleinement. Mes épaules s’affaissent et j’ai soudain envie de m’étirer.

“C’est un démon. Il a jeté son dévolu sur toi, il te cherche, il y a en toi, une brèche, il s’est engouffré, à travers ton vice. Regarde-toi.”


Qui es-tu pour prétendre connaître Têbe ? Une brèche, une faille ? Têbe ne sonne pas aux portes, Têbe s’installe, prend ses aises, ne paie pas le loyer met son bazar et son vacarme.

Et, changé, chamboulé, je n’entends plus. Je ne vois plus. Chaque sens se réuni en un point unique, lancinant, pulsatile, à chaque pensée qui s’égare, Têbe se rappelle à elle.


“Je suis là.”


Voilà la fatigue et mes yeux se ferment, le médicament fait son effet. Il ne me soigne pas mais me fait oublier, me fait doucement plonger vers les sensations fictives des rêves. Tantôt douces, tantôt violentes.Têbe me quitte un peu.

Mes yeux se rouvrent, et


“Je suis là.”


Je sais que tu es là, chaque seconde, je n’oublie pas.

Mes paupières tombent à nouveau. J’entendais des voix, et puis je vois. La vie prend forme face à moi, c’est ma mère ? L’image est trouble. Je ne sais pas, non, une autre femme. La nuit se matérialise, elle fait d’une pensée une substance. Ce que j’entends dans ma tête passe à mes oreilles, les images deviennent nettes et Têbe s’efface, j’entre dans la dimension du rêve, aussi ennuyante que celle du quotidien, sauf que Têbe n’est jamais là.Cinq années de vie partagée, mais jamais un seul rêve qui l’évoque.
Têbe est mon cauchemar que j’oublie chaque nuit quand je m’éveille enfin.

Je râle, je peste

Dans mes artères s’écoule une grande violence. De celles qui font trembler les membres et serrer les dents. Celles qui condamnent la raison au supplice du mutisme. Je crois que je hais, un peu, chaque jour, et comme je hais, je n’estime plus autrui, comme je hais, toute humanité à l’arrêt, le pied brisé, j’aimerais me laisser aller, m’oublier pour mieux aimer, finalement.

(Je veux tant retrouver un peu de ma douceur inconditionnelle.)

Il y a dans le calme des machines éteintes la rémanence de leur souffle chaud, celui d’avoir bien lutté, et l’écho lointain de ces voix qui s’élèvent contre tout, le fantôme du grabuge qui hante ma propre chambre.

Ma tête tourne parfois, quand je sais plus où regarder, mes yeux cherchent où se poser, le reste reste flou. J’ai peur. J’ai peur des rues larges et désertes, peur des chemins escarpées, du vide et du plat.

(« L‘érosion grignote les monts » voilà une métaphore exagérée, faussement bien trouvée mais qui ne trompe pas, puisqu’entendue, elle et ses semblables, bien trop de fois, à en laisser derrière elle le goût amer du prémâché, de la « bonne » idée )