Châlons

J’aime et je fuis châlons, j’ai un rapport étrange à cette ville comme une ville dans laquelle je n’ai jamais réussi à m’intégrer, tout en ayant ici d’agréables souvenirs d’enfance, de découvertes, d’émerveillement, et d’innombrables histoires

Ma vie y est peu intense, mais plus forte, diverse, elle stimule les sens et ne se pose que peu de questions, elle existe.

Me voilà, sur un banc dans le jard.

Je regarde des jeunes jongler avec des quilles et des balles, des chiens qui courent et jouent dans la verdure, des gens qui passent, qui parlent, qui prennent leur temps, et je m’autorise un peu à me sentir connecté à eux, à m’en foutre d’être différent, à me dire qu’ils m’aiment qu’importe si c’est faux, qu’eux sont bienveillant, je ne me demande pas pour qui ils votent, s’ils regardent CNEWS, je n’imagine pas leur regard s’ils me savaient homo, je prends juste les gens comme ça, comme si j’étais parmi eux, et je les aime un peu comme j’aime le vent, sans me demander d’où il vient. C’est lâche, c’est naïf, c’est putain d’agréable et reposant. Je n’ai pas à justifier ça. Ma douleur s’apaise, c’est ce qui compte ce jour, et voilà ma vue qui s’étend, ma tête qui pense, je me sens là.


Son sang, sur mes épaules

CW Suicide, Sida, sang

Je suis assis, sur une chaise en bois, et je regarde le soleil se lever, avec lenteur. L’air sent bon le savon, le propre, la javel, on entend les oiseaux piailler, dehors un ciel mélange le rouge le bleu, et le blanc, au sol tout est vert. J’attends.
Quelques gouttes d’eau sur le plancher me rappelle le sang, son sang, sang humide, les traces rouges de mains sur les murs, jusqu’à ma porte, goût amer, odeur nauséabonde.
Calme, savon, repos.
Un corbeau rit près de ma fenêtre, un vent frais soulève mes rideaux.

Je soupire.

Elle pleurait, assise par terre, entourée de morceaux de verre, dans son sang, du sang plein la bouche, de cette plaie, de ce trou qu’elle avait voulu combler.
Dans un grondement, les escaliers, les couloirs, les chambres répétaient ses hurlements.
« Je meurs, je meurs, criait-elle, je vois plus rien, je vois plus rien, me souffla-t-elle. »
J’avais les pieds dans les bouteilles brisées, où se mélangeait le sang, son sang, sang humide, j’avais peur, elle avait peur, nous ne bougions plus.
Seul son regard, sans me voir, ses yeux étaient plongés dans les miens, son visage paraissait si froid.
« Tu as du sang partout, je suis désolée, je suis désolée, s’excusa-t-elle. »
Il était trop tard, trop tard pour elle, elle n’y était pour rien.
Je m’abaissais, je la pris dans mes bras, doucement, sans lui faire le moindre mal. L’odeur, le rouge, la détresse, son cœur qui battait, vainement, dans le vide.

Elle se fit brique, s’effondra, j’attendis, immobile. Son poids. Son corps froid.

Les sirènes de pompiers. Les ambulances. Des bruits de pas, on courait dans les escaliers, je ne regardais qu’elle, si pâle, si froide.
« Trop tard, me dit-on. »
Sans blague.
« Vous la connaissiez ? »
Non.
J’aurais pu, j’aurais dû, mais non.
Goût amer.
On m’amena à l’hôpital. On me parlait, je voyais tout, tout sauf elle, je voulais son doux visage, sans le sang, la regarder, une fois encore.
« Vous devez vous reposer. »
J’étais rouge, rouge de son sang, sur ma nuque, où elle avait posé son bras, sur mes pieds, que le verre avait entaillés.
Rempli de sa mort, on me montra les douches. L’eau, froide ou chaude ? Le savon, nettoyage, d’abord la tête, les cheveux, je voyais chaque goutte couler, larmes tantôt transparentes tantôt rosées. Le torse, les épaules, je pleurais. Puis le ventre, puis le dos, à quoi bon ? Mes jambes, mes pieds, j’avais mal.

Sur mon pied gauche, je gardais une goutte de son sang, une goutte, une seule. Plus tard j’appris qu’elle avait le sida.

L’air sent bon le propre, le soleil s’est levé. Je vois son visage, je souris.

Un texte que j’avais écrit en 2012, je suis retombé dessus aujourd’hui, partiellement issu de vécu, la personne n’est pas décédée et n’avait pas le sida, la fin du texte vient du fait qu’elle et moi avons été testé à la suite de cela

Je n’aime plus écrire

Je n’aime plus écrire, sinon je n’aurais pas à me forcer pour le faire

J’ai perdu goût à ça. Pourquoi ?

Il y va, je crois, de mon rapport au néant, qui aujourd’hui me rend amorphe. Je ne sais plus m’ennuyer. Je ne sais plus penser correctement, et les rares moments de vide, je m’efforce de ne rien ressentir, soit en les remplissant d’inepties que je ne suis que d’une oreille, soit en me concentrant sur mon corps, l’écoutant comme on écoute une personne qui se répète: on aimerait qu’elle cesse, on aimerait retourner à nos divagations mentales, mais elle nous ancre au réel sans ne rien nous apprendre de nouveau.

Je n’aime plus écrire car je ne peux plus m’y abandonner. Je reste amarré aux sens, à ma propre et lourde fatigue.