Les Glitch eux ils me faisaient peur au début, parce qu’ils sont moches. Pas leur faute, ils ont été créé avec ce qui a été oublié, dans leur coin, sans personne, mais ils apprennent. Ils apprennent et ce qu’ils aiment, par dessus tout, c’est la musique.
C’est comme s’ils étaient apparus tout seuls, je les ai pas créés. Au début ils étaient discret, et c’était pire que tout. Je savais que j’en avais vu passer un, je l’avais aperçu puis il avait disparu, pouf. Donc ça me faisait peur, parce que c’était tout le temps comme ça. J’avais peur qu’ils me sautent dessus en pleine nuit, et qu’ils me bouffent, ou bien qu’ils m’électrocutent parce qu’ils ont l’air d’être électriques. Mais j’ai calmé ma peur, et le soir, j’ai commencé à leur parler, dans le vide, je savais qu’ils m’écoutaient. Je leur racontais des trucs, des histoires, et des fois quand je partais la nuit, j’éteignais ma lampe, et je leur disais « je vous vois pas, vous pouvez venir ».

Peut-être que les Glitch ont peur du clair comme quand j’ai peur du noir ?

J’avais la trouille mais je l’ai fait, trois fois. Un jour, enfin, une nuit, j’ai quitté mon vélo et j’ai marché dans un champ en friche. J’ai entendu bougé et j’ai sursauté, y’avait que la lumière de la lune, et ça va encore parce que parfois y’a même pas ça. J’étais figé, je savais pas si je devais courir, et par où courir parce que j’étais loin de la route. Et c’est là qu’il a chanté, comme avec une voix d’enfant, et je l’ai vu. Car les Glitch, quand ils chantent, ils brillent dans la nuit. Il était tout seul, il a chanté pendant plusieurs minutes, à la fois j’étais content et j’avais peur donc j’avais envie qu’il arrête. Puis il a arrêté. Il a disparu. J’ai couru jusqu’à mon vélo et je suis rentré.
Mais après, la journée, j’avais juste envie de recommencer, j’avais hâte que la nuit tombe, en plus mon père a pété un câble parce que j’étais lent et fatigué. Je lui ai dit d’aller se faire foutre donc j’ai été puni. Mais la nuit, je me suis cassé encore et je suis retourné au champ. Là, j’avais plus peur, parce que j’avais réfléchi. Il voulait pas me tuer, je crois. Parce qu’ils auraient pu le faire avant, alors j’ai chanté un peu aussi, un truc qui ressemblait à sa chanson, ça va je chante pas trop faux. Alors, y’a eu une note, puis deux, puis trois, quatre et je sais pas, mais le chant en friche s’est illuminé tout entier, j’avais presque mal aux yeux, et je les ai compris.
Depuis, c’est eux qui me rassurent la nuit. Parce que j’aime la nuit, la nuit je sors, je vais partout, on me juge pas. La nuit, j’existe pas, même quand j’ai peur, très peur.

On avait bien passé des heures à invoquer quelques esprits. Assis à même le sol, à la lueur tremblotante de nos trois bougies.

« C’est dehors qu’on les entendra le mieux »

À la lisière des bois, là où le vent caressait les feuillages, donnait aux branches des ombres inquiétantes. Leurs silhouettes se découpaient, plus noires que le noir du ciel. Bruissements. Craquements. Frissonnement.

Je voulais partir, je voulais rester. Une bougie a été soufflée

« Ils sont là »

J’ai retenu mon souffle. Ils étaient là, alors on les a interpelés.

« Qui est-ce ? C’est toi, papy ? »

La lune s’est dévoilée, cette nuit-là. Plus blanche que jamais, pas ronde mais presque.

« C’est sa réponse, ça veut dire que c’est lui. »

Mon cœur, je le sentais battre. J’aurais juré que mon tee-shirt se soulevait sur ma poitrine. Mes jambes prêtes à courir, l’air était salée. Au loin, on entendait les vagues et leurs mystères. Qui guettaient pour nous bondir dessus et nous enlever. Elle était tapie là-bas, la bête. Dans les bunkers près de l’eau.

« Un jour, elle sortira. On doit être prêt. C’est pour ça qu’on l’appelle, lui, il sait. »

Il sait ? Pourquoi il saurait ? Juste, il sait. C’était lui, notre lien entre notre monde et l’autre monde. Donc il sait. C’est logique ? Il connaît la bête.

« On y va ? »

Une seule bougie sur les trois étaient encore allumée. Je l’ai prise, on s’est engouffré dans les bois.

« T’as peur ? »

Oui.
La lumière de la lune perçait encore le feuillage. On marchait sur des ombres, des soubresauts. Il menait, il s’est arrêté. Figé.

« C’était quoi ? »

Je n’avais rien entendu.

« On se casse »

Et on a couru.

« On l’a échappée belle ! »

J’étais juste content d’être là, sous le halo rassurant des lampadaires. La bête, elle nous aura. Mais pas ce soir-là.

Cette nuit, presque vingt ans plus tard, la maison gémi. Dans le froid de la nuit, je suis sûr d’entendre des bruits de pas, lentement monter l’escalier condamné. Grincement. Craquement. Mon cœur bat. Aux aguets, j’écoute. Elle ne m’aura pas. Pas ce soir-là.

Quel monde léguer ?

On sentait quelques soubresauts. Les murs, lentement, se lézardaient dans la vieille maison.

Je m’en inquiétais, par moment.

« Il faudrait faire quelque chose. ».

Qu’importe, ils tenaient, et j’avais le temps.

Ce n’est qu’aux repas, parfois, qu’on évoquait vaguement l’idée si lointaine du danger.

« Oui, c’est vrai »

Têtes baissées. L’odeur des plats, bruits des couverts.

« On ne peut lutter contre le temps qui passe, il faut aller de l’avant. »

Les discussions reprenaient, et avec eux, les jours de beau temps. Chassée, la boule dans la gorge. Mes yeux ne se posaient plus sur la menace rampante que quand venait le soir et ses quelques insomnies. Dans l’impuissance des nuits, que les paupières closes ne parvenaient à cacher.

Aujourd’hui, la maison s’est écroulée.

Du jour au lendemain. Emportant avec elle mes plus beaux souvenirs, teintés d’innocence, d’enfance.

Hier n’était pas pire qu’avant hier.
En ce jour, pourtant, de sa beauté, sa prestance, de ses bras chaleureux, son toit protecteur, de sa mémoire, ses fantômes, il ne reste qu’un tapis de poussière

De brique rouge et de gris.